dimanche 7 avril 2024

Rodolphe Burger + Sofiane Saidi + Mehdi Haddad @ L'Archipel, 04 avril 2024 - Fouesnant

La qualité de programmation de l'Archipel m'amène une quatrième fois à Fouesnant cette année. Après Alela Diane, H-Burns + Animal Triste et Zaho De Sagazan, c'est cette fois le projet Mademoiselle qui me semblait tout simplement immanquable. Mademoiselle est une hydre à trois têtes, une rencontre aussi évidente que géniale entre Rodolphe Burger, Sofiane Saidi et Mehdi Haddad, des artistes qui n'ont cessé de multiplier les collaborations et de mêler leur talent et leur culture à celle des autres. Le résultat est splendide, l'album est une vraie réussite, un beau métissage de blues, de raï et d'électro qu'il me tardait donc de voir joué sur scène.

La salle de l'Archipel est pleine une fois de plus, les trois artistes s'installent et le set débute sur Vous Êtes Belle (Mademoiselle). Rodolphe Burger et Sofiane Saidi se partagent le chant, l'un dans un style résolument Gainsbourien et l'autre en virtuose du raï. Mehdi Haddad, lui, semble ne faire qu'un avec son oud électrique, sa réputation de Jimi Hendrix du Maghreb n'est pas usurpée et chaque solo qu'il entreprend est une vraie merveille, à commencer par celui réalisé sur 504, le second titre de la soirée. La rythmique est soutenue, Sofiane Saidi derrière ses claviers fait office de chef d'orchestre et sur One Two Three, c'est la présence de Rachid Taha qui transparait de partout, lui qui incarnait tant le rock et ses alliages. Après le bluesy I Drink Alone, une très belle reprise de George Thorogood, le trio interprète Embrasse Marie Pour Moi, l'un des morceaux les plus intenses du set à mes yeux et à mes oreilles. Le light show est splendide et le son impeccable, malgré quelques soucis rencontrés sur un des amplis de Mehdi Haddad qui a paru un peu agacé par cet imprévu.


 

La seconde moitié de concert gagne encore plus en chaleur et en énergie. Des gens se sont levés pour danser dans les allées, Sofiane Saidi incite les autres à en faire autant, à quitter leur confortables fauteuils et à se laisser aller sur les nappes électro de Sahara Malakoff (Le Désert). Une autre reprise est jouée : Hey Baby de Jimi Hendrix sur laquelle Mehdi Haddad se hisse aisément au niveau du guitariste légendaire. Superbe ! Fin de set relevé avec Le Dédain, puis La Terre De Feu (Que Sera Votre Vie?), où Mademoiselle revisite à la sauce algérienne un des titres phares de Kat Onoma. 

Le public en redemande et c'est tout d'abord Mehdi Haddad qui revient seul pour un solo somptueux en intro de Hard Times. Il est rejoint par Sofiane Saidi qui, tel un muezzin, invite ses fidèles par son chant puissant, puis par Rodolphe Burger, revenu lui aussi pour distribuer de gros coups de griffes avec sa fameuse Gibson. Le concert s'achève sur le tempo soutenu de Ndjoum, où l'instru électro/raï pourrait facilement se confondre à la musique traditionnelle bretonne, elle aussi jamais meilleure que lorsqu'elle est bousculée et enrichie par d'autres cultures. L'ouverture, la curiosité et le mélange font bon ménage. Une évidence qu'il est toujours bon de rappeler et ce soir c'est chose faite de la plus belle des manières.

 Merci Mademoiselle.

Jérôme

dimanche 31 mars 2024

FRUSTRATION + STRUCTURES @ L'Echonova, 30 mars 2024 - Saint-Avé

Soirée torride à l'Echonova samedi soir en dépit de la météo pourrie digne d'un mois de décembre. Trois groupes énervés au programmes : Mary Bell, Structures et Frustration. Saint-Avé n'étant pas la porte d'à côté, je n'ai pas pu arriver à temps pour le set de Mary Bell, ce sera pour une autre fois. Lorsque j'entre dans la salle, c'est au moment du changement de plateau. Il y a du monde partout et je constate  que le public est très varié niveau âge. Quelques enfants, des ados, beaucoup de quinquas et aussi pas mal de cheveux blancs, ça fait plaisir à voir qu'une bonne soirée punk rock rassemble encore plusieurs générations d'aficionados. Le temps de jeter un œil sur le merch et de prendre une boisson et je me positionne pour Structures, que je vois pour la seconde fois ce soir, après leur passage au Vieilles Charrues en 2022.


Structures c'est un binôme amiénois déterminé et intègre qui en quelques années seulement est devenu l'un des groupes fers-de-lance de la nouvelle génération rock hexagonal. Il a fallu attendre 5 ans, après un premier EP sorti en 2018, pour voir enfin l'album, A Place For My Hate, sortir. La faute à une période de belles galères : la crise sanitaire bien sûr mais aussi à l'implication d'un ex-membre du groupe et du patron du label, tous deux mêlés à des affaires plutôt sordides, bref... Des débuts compliqués. Mais comme on dit : c'est dans la tempête que l'on reconnaît le marin. Pierre (guitare et chant) et Marvin (basse et chant) n'ont pas tergiversé longtemps et ont pris des décisions radicales. Changement et réorganisation, le groupe évoluera désormais à deux et chez un autre label, on recommence tout à zéro ou presque. Le jeu en valait la chandelle, Structures est resté droit dans ses bottes et l'album qui a vu le jour est à la hauteur des attentes. Sur scène, ils sont entourés de 2 zicos supplémentaires, histoire de taper aussi fort que prévu. Le set débute avec le très bon Attitude suivi de Long Life et Mod3rn. Musicalement, ça oscille entre Interpol, The Prodigy, Fontaines D.C. et Nine Inch Nails dont Pierre porte le t-shirt. 



Post punk, certainement, mais pas que. Structures a du potentiel et les secousses électro qui ponctuent certains titres les placent dans une tout autre perspective. Le concert prend un peu plus de muscles à la mi-parcours avec Expectations et Satellite, deux titres un peu plus anciens mais toujours d'une efficacité redoutable. Le jeu de basse de Marvin est puissant et me rappelle par moment celui de Jean-Jacques Burnel des Stranglers, notamment sur Sorry, I Know It's Late But...et Expectations justement. C'est tendu, nerveux et ça finit très fort avec le splendide Arabian Knights Club puis Disaster, où Marvin, au micro cette fois-ci, vient se mêler à la foule sous une déferlante électro punk. Un moment fort du set. Structures achève sa prestation pied au plancher devant un public qui pogote joyeusement sur Blind, Strange Feeling et Pigs et conforte cette belle sensation de groupe au style marqué et à la personnalité forte. L'avenir leur appartient ! 

     


Quel plaisir de retrouver Frustration ! Ce sera la cinquième fois en 11 ans que j'en ai l'occasion. Il faut dire que les Parisiens ne délaissent jamais la Bretagne lors de leurs tournées. Cette fois c'est pour honorer la sortie de Our Decisions, leur cinquième Lp, dans les bacs depuis la veille ! Un album somptueux, pas évident à faire, me confiait Pat D, croisé à la pause clope, quelques instants avant, et marqué, entre autre, par une guitare encore plus agressive. Groupe taulier et groupe référence du post punk en France, chaque concert de Frustration est un évènement qui rassemble de plus en plus de monde et cette soirée ne fait pas exception. Le set commence avec Path Of Extinction, le titre qui ouvre l'album. Le jeu de basse sec et régulier de Pat D vient couvrir les chants d'oiseaux qui accompagnaient l'entrée en scène. Transition brutale, froide et fidèle à l'approche frontale du groupe. 



Après l'excellent State Of Alert, second morceau du dernier album, Frustration se lance dans une série de titres plus anciens dont It's Gonna Be The Same, Pepper Spray, Le Grand Soir et Excess. Il fait au moins 35°C dans la salle, pourtant Nicus à la guitare est emmitouflé dans son parka à capuche, foulard autour du cou. Fabrice au chant, regard droit, ton grave, phrasé autoritaire à la Jason Williamson (chanteur des Sleaford Mods), scrute devant lui le public qui bouillonne toujours un peu plus à chaque riff de Nicus. Mark à la batterie est impeccable, en retrait c'est lui qui donne le tempo, puissant sans pour autant, prendre le dessus sur les autres membres du groupe. Fred Campo au synthé est toujours aussi impressionnant de zenitude, pourtant l'aspect glaçant et anxiogène de certains titres du groupe, c'est lui sans aucun doute ! L'intro basse de Pat D sur Catching Your Eye est saisissante, le lascar a du jus, jongle entre concentration et provoc' et prend un malin plaisir à interagir avec le public. Dans la salle, c'est le feu, les slams s'enchaînent, les fringues et les gobelets volent sur la scène et une bonne partie des mecs sont torses nus à pogoter. Grosse ambiance !

 


Autre nouveau morceau savoureux joué ce soir : Riptide, à mi chemin entre Killing Joke et Depeche Mode. Moins speed que The Drawback ou Nowadays, joués juste après, mais l'un des meilleurs titres de la soirée à mon sens. Le set se termine avec Your Body, la salle est moite de chaleur et de transpiration, le groupe ne nous fait pas attendre longtemps et reviens donner le coup de grâce avec une salve de quatre titres imparables : Dreams, Laws, Rights And Duties suivi de Too Many Questions, Blind et enfin We Have Some...Marvin de Structures les rejoint sur scène et prend la basse, Fred Campo se jette dans la foule tandis que les Mary Bell au balcon dansent sur ces ultimes notes de Frustration à l'Echonova. Je retrouve, quelques minutes après, Pat D au merch, épuisé, trempé de sueur et qui me confie tout essoufflé "Super concert !" 
Sentiment partagé à 100%



Jérôme

mardi 26 mars 2024

NITS @ Le Trianon, 22 mars 2024 - Paris

50 ans de carrière pour les NITS ! L'évènement justifiait amplement le déplacement à Paris pour revoir Henk, Robert Jan et Rob se produire dans l'écrin du Trianon. Au fil des décennies, ils sont restés d'une élégance folle, de leurs compos jusque dans le graphisme de leurs œuvres, en passant par la syntaxe des chansons ou des titres d'albums. Jamais vraiment dans l'air du temp, le groupe néerlandais n'a pas eu le succès commercial qu'il mérite, pourtant les puristes s'accordent à dire que les NITS sont surement les plus légitimes héritiers des Beatles tant leur compositions sont créatives, éclatantes et toujours finement travaillées. Artistes complets et intelligents, les Nits sont bel et bien l'un des trésors les mieux gardés de la pop, pour reprendre une formule qui leur sied parfaitement. 

Le concert a débuté avec une longue standing ovation dès l'instant où nos 3 compères sont arrivés sur scène. Je ne crois pas me rappeler avoir vu cela avant et ça en dit long sur l'émotion et la reconnaissance du public envers le groupe. La déco, sobre représente un arbre, une maison et le feu. Celui qui a ravagé le home studio du groupe il y a deux ans, réduisant à néant toutes les archives, instruments et souvenirs que les Nits y abritaient depuis 40 ans. Leur dernier Ep est né de ce tragique évènement, les Nits sont toujours là mais la plaie est vive et le chagrin se ressent dans chacune des 6 chansons qui le composent. The fire had no heart, the fire had no mercy...chante Henk sur The Attic que n'aurait pas renié Leonard Cohen. 

 

Ce premier set du concert est principalement consacré à ce dernier album, le 25ème de la carrière du groupe. L'émotion est palpable sur The Bird et sur The Tree, qui entre directement dans mon top 5 des chansons du groupe tant cette ballade est sublime. La voix de Henk Hofstede est impeccable, sa chemise longue, sa veste verte et son regard profond et bienveillant le font ressembler à un vieux maitre des beaux arts en pleine démonstration. Autour de lui, deux compagnons de longue date tout aussi doués : Rob Kloet à la batterie, dont les baguettes semblent glisser d'un fût à l'autre, capable d'une métrotomie d'orfèvre et d'improvisations jazz bluffantes et Robert Jan Stips aux claviers, impressionnant de maitrise derrière son air triste lorsqu'il joue. Un véritable Droopy virtuose ! C'est lui qui prend le relais au chant sur The House, premier "ancien titre" de cette première partie. Après le délicieux A Touch Of Henry Moore qui nous replonge dans les années new wave du groupe et l'inclassable The Infinite Shoeblack, digne de Prokofiev, les Nits terminent ce premier set avec Nescio, autre titre emblématique et salué longuement par le public. 

Après 20 minutes de pause, le concert reprend sur les notes entrainantes de dA dA dA, titre très McCartnéen, malgré la voix de Henk qui penche plus Lennon. Le clin d'œil aux Beatles ne s'arrête pas là car lorsque une fois de plus le public ovationne le groupe, Henk s'exclame : "Paris et les Nits sont des mots qui vont très bien ensemble ! Et nous nous sommes les marchands de pommes de terre !" Les chansons s'enchainent, passant en revue une discographie raffinée et brillante. Des chansons graves comme Lits-Jumeaux, qui évoque le destin parallèle d'un enfant juif et d'un jeune soldat SS, d'autres plus légères comme J.O.S. Days qui raconte les états d'âmes d'un jeune footballeur maladroit. La nostalgie n'est jamais loin avec les Nits, en introduction de Yellow Socks & Angst, Henk se rappelle et nous raconte son enfance (en français). Sa grand-mère qui tricotait tout le temps pendant que ses oncles jouaient aux cartes et que la télévision diffusait Johnny Hallyday. Idem pour les superbes The Bauhaus Chair et Beromünster, où il s'imagine voir ses parents danser à travers un poste de radio situé dans leur chambre. Le set s'achève avec Cars & Cars, où encore une fois Robert Jan est incroyable, ouvrant le morceau sur des notes douces, allant crescendo pour finir dans un tourbillon qui fait se lever le Trianon comme un seul homme. 

 

Le rappel est magistral avec tout d'abord The Eiffel Tower, deuxième titre de leur très bel album Les Nuits joué ce soir, puis In The Dutch Mountains, surement la chanson la plus connue du groupe. Quel bonheur, quel plaisir ! Henk, Rob et Robert Jan sont tout sourire, se marre comme des gosses et le public en redemande forcément. On ne va pas se quitter comme ça ! Pas avant une dernière ode à Paris, une évidence : la gare du Nord, le centre Pompidou, l'hôtel d'Angleterre...tout ces lieux qui valsent dans l'ultime chanson du concert Adieu Sweet Banhof que le public reprend en cœur avec le groupe. Les Nits saluent avec un bonheur visible un public qui n'en finit pas de les applaudir et de les remercier. C'est beau tout simplement, c'est 50 ans d'amour ! 

Jérôme